Un scientifique s'insurge

Nous savons quel est le problème

H. Holden Thorp

Rédacteur en chef de la revue Science

hthorp@aaas.org

 

Article publié en ligne le 26 mai 2022 dans la revue américaine "Science". Traduit de l'anglais

 

L'Amérique se remet douloureusement d'une nouvelle vague dévastatrice de fusillades de masse. Au cours des dix derniers jours, des tireurs ont pris pour cible une église taïwanaise en Californie, une épicerie dans un quartier noir de New York et enfin l'école primaire Robb à Uvalde au Texas. Bien que les opposants à un contrôle raisonnable des armes à feu - pratique qui prévaut dans la majeure partie du monde développé - continuent à mettre en avant l'état mental instable des tireurs, Il s'agit là de détournements cyniques d'une évidente vérité : le point commun de toutes les fusillades de masse révoltantes dans le pays est l'accès absurdement facile aux armes à feu.

La science est claire : les restrictions fonctionnent, et il est probable que même plus de restrictions permettraient de sauver plus de vies. Alors pourquoi ne pas aller beaucoup plus loin dans la législation, comme l'ont fait d'autres pays ?

L'alternative est malheureusement évidente: vivre avec toujours plus de carnages, grâce à la National Rifle Association (NRA) et à ses laquais politiques bien financés (par exemple Donald Trump).

Un argument utilisé par ces derniers pour justifier le maintien de la possession d'armes à feu est que les fusillades de masse sont souvent le fait de tireurs souffrant de graves maladies mentales. Il ne fait aucun doute que la santé mentale est un facteur. Mais le taux des maladies mentales aux États-Unis est similaire à celui d'autres pays où les fusillades de masse sont rares.

C'est l'accès aux armes à feu qui est le problème.

Alan Leshner, un expert en recherche et politique de la santé mentale (ancien directeur général de l'Association Américaine pour l'Avancement de la Science, et éditeur de la revue Science), a écrit sur l'erreur consistant à imputer la violence armée à la maladie mentale, à la suite d'autres tragédies en 2019 (517 morts, 1643 blessés, pour un total de 2160 victimes. Voir: List of mass shootings in the United States in 2019; Wikipedia). Parmi les points soulevés par Leshner figure le fait que moins d'un tiers des personnes qui commettent des fusillades de masse ont un trouble mental diagnosticable.

Un autre argument de la NAR et de ses défenseurs est que, aussi strictes que soient les lois de contrôle des armes, les tireurs potentiels trouveront toujours les moyens de les contourner. Cet argument est également fallacieux. L'analyse publiée en 2017 par Cook et Donohue montre de manière concluante que l'extension des peines pour l'utilisation d'une arme à feu dans le cadre de crime violent, l'interdiction de la possession d'une arme à feu par les personnes condamnées pour violence domestique et la restriction du port d'armes à feu dissimulées entraînent une réduction démontrable de la violence armée (Saving lives by regulating guns: Evidence for policy. Science, 8 December 2017). Il n'est donc pas exagéré de supposer que d'autres restrictions permettraient de sauver encore plus de vies.

 

Fusillade au texas

Il est également soutenu par la NRA et ses laquais que la possession d'armes à feu est garantie par le deuxième amendement de la Constitution des Etats Unis. Mais beaucoup de choses ont changé depuis 1791, et il y a eu de nombreuses occasions au cours desquelles le peuple américain a conclu que les droits accordés lors de la fondation de la nation ne pouvaient être conservés dans les conditions et les connaissances modernes.

Par exemple, il a été décidé que:

  • posséder d'autres êtres humains (esclaves) n'était pas compatible avec les principes fondateurs de l'Amérique
  • interdire aux femmes de voter n'était pas compatible avec une démocratie représentative.  

Il est maintenant temps de décider que la possession sans entrave d'armes à feu par les citoyens américains n'est pas compatible avec un pays florissant où les gens peuvent pratiquer leur culte, faire des achats et s'instruire sans crainte.

Les scientifiques ne doivent pas rester sur la touche et regarder les autres se battre. De nouvelles recherches sur les effets de la possession d'armes à feu sur la santé publique apporteront de nouvelles preuves de ses conséquences mortelles. La science peut montrer que:

  • les restrictions sur les armes à feu rendent les sociétés plus sûres
  • la maladie mentale n'est pas un facteur déterminant dans les fusillades de masse
  • le racisme est mesurable et conduit à la violence.

Le droit de vote des femmes, la fin de l'esclavage et les droits civils n'ont pas été obtenus sans lutte. Des militants courageux ont mis en jeu leur vie et leurs moyens de subsistance pour obtenir ces avancées. Les victimes de la violence armée ne sont malheureusement plus là pour se battre pour leurs droits, qui leur ont été retirés contre leur gré. Mais la réussite économique et sociale du pays concerne tout le monde. Si les enfants ne se sentent pas en sécurité, ils ne peuvent pas apprendre. Et un pays qui ne peut pas apprendre ne peut pas prospérer. Une nation dont les enfants sont menacés par la violence armée n'a pas d'avenir.

Fabriquez des panneaux et affiches de protestation. Commencez à manifester. Poussez les législateurs à rompre enfin l'impasse partisane qui a fait de la minute de silence une observation régulière. La NRA et ses sbires doivent être vaincus. C'est à nous de le faire, car les victimes de la violence armée ne sont plus là pour protester elles-mêmes, ce qui est tragique et dévastateur.

 

Date de dernière mise à jour : 30/05/2022

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