Intégration génomique-2
Le génome du SARS-CoV-2 peut-il s’intégrer au génome des malades lors d’une infection ?
J’ai déjà abordé cette question sur ce site le 29 juillet 2021 (voir mon article ICI). Le but de cet article est de refaire un point sur ce débat qui continue à opposer ces deux hypothèses sur l’intégration ou l’absence d’intégration du génome du SARS-CoV-2 par rétro transcription dans le génome de la personne infectée, à la demande de plusieurs de mes lecteurs.
Il s’agit d’un sujet brulant.
En effet, les antivax se sont emparés de l’hypothèse d’une intégration par rétro transcription du génome viral chez l’hôte pour l’appliquer aux ARNm des vaccins, suscitant ainsi des interrogations et inquiétudes légitimes pour le grand public.
Sur ce point précis, le consensus scientifique est clair et ne fait pas débat : les ARNm injectés lors de la vaccination ne peuvent être rétro transcrits dans le génome de l’hôte.
Rappel
Des tests RT-PCR positifs continus ou récurrents permettant de détecter l’ARN du SARS-CoV-2 ont été signalés chez des patients des semaines ou des mois après guérison de l'infection initiale. Bien que des cas de réinfection authentique par le SARS-CoV-2 après guérison aient été signalés récemment du fait notamment de la présence de nouveaux variants (Omicron), des études de cohorte, avec mise en quarantaine stricte de sujets guéris de la COVID-19, suggèrent que les cas de "re-positivité" n'étaient pas dus à une réinfection authentique par le virus. De fait, aucun virus capable de se répliquer n'a été isolé ou s'est propagé à partir de ces patients "re-positifs".
Quelle serait donc la cause d'une telle production prolongée et récurrente d'ARN viral sans infection virale sous-jacente ?
Le 6 mai 2021, Zhang et al., PNAS 2021, publiaient les résultats d’une étude qui suggéraient que le génome du SARS-CoV-2 pourrait s’intégrer au génome de l’hôte via les rétro transposons LINE-1, expliquant ainsi la persistance de l’ARN viral chez certains malades. Ces résultats n’ont pas été confirmés par d’autres études (voir mon article de juillet 2021, ICI).
Nouveaux résultats sur le sujet depuis 2021
Trois études (Briggs et al. PNAS 2021 ; Parry et al. PNAS 2021 ; et Chen et al. Protein & Cell 2022) réalisées après juillet 2021, n’ont pas confirmé les résultats de Zhang et al. PNAS 2021. Cependant, Zhang et al. ont publié une nouvelle étude en 2023 (Viruses 2023) dans laquelle ils confirment les résultats de leur étude de 2021. Ces quatre études sont résumées ci-dessous.
Briggs et al. PNAS 2021
Assessment of potential SARS-CoV-2 virus integration into human genome reveals no significant impact on RT-qPCR COVID-19 testing
Les résultats de cette étude publiée le 25 octobre 2021 suggèrent que la rétro transposition du génome du SARS-CoV-2 médiée par LINE-1 dans l'ADN de l'hôte est un événement rare sans impact pratique sur la capacité de diagnostic basée sur la RT-PCR. Les rétro intégrations présumées du SARS-CoV-2 sont probablement artificielles, résultant de contaminations de l'ADN des amplicons et/ou d'autres processus non intentionnels.
Parry et al. PNAS 2021
No evidence of SARS-CoV-2 reverse transcription and integration as the origin of chimeric transcripts in patient tissues
Dans cette étude publiée en août 2021, les auteurs remettent en question les résultats de Zhang et al. (PNAS 2021) pour plusieurs raisons essentielles :
i) les séquences chimériques virus-hôte ont souvent été rapportées pour le SARS-CoV-2. Cela est en partie dû aux fusions d'ADN complémentaires introduites lors de l'étape de transcription inverse de la préparation de la banque d’ADN complémentaire réalisée à partir de l’ARN cellulaire.
ii) des pools plus importants de séquences chimériques de sens négatif du SARS-CoV-2 peuvent être dus à des différences dans l'extraction de l'ARN, la préparation de la banque d’ADN complémentaire et la plateforme de séquençage. Étant donné que l'ARN de sens négatif se forme lors de la réplication du SARS-CoV-2 pour la production d'ARN messager, une proportion significative des séquences de sens négatif est attendue dans les échantillons d'ARN des patients.
iii) il n'existe aujourd’hui aucune preuve que le génome des coronavirus puisse s’intégrer dans la lignée germinale des espèces hôtes, comme on pourrait s'y attendre si la rétro transcription et l'intégration se produisaient dans la nature, car le dépistage systématique de >750 espèces animales n'a pas permis d'identifier d'éléments viraux endogènes dérivés du coronavirus.
Chen et al. Protein & Cell 2022
Comprehensive analysis of RNA-seq and whole genome sequencing data reveals no evidence for SARS-CoV-2 integrating into host genome
Dans cette étude publiée en mai 2022, les chercheurs ont effectué à la fois le séquençage de l'ARN et le séquençage du génome entier (ADN) sur des cellules humaines et de singe infectées par le SARS-CoV-2. Bien que des séquences chimériques aient été identifiées dans le séquençage de l'ARN, l'analyse des données sur le séquençage du génome entier (ADN) n'a montré aucune séquence chimérique. Plus important encore, des séquences chimériques ont également été identifiées dans des embryons de poisson zèbre non infectés lors du mélange de leur ARN avec les ARN de cellules humaines infectées, à l'étape de construction de la banque d’ADN complémentaire, fournissant ainsi la preuve solide que les lectures chimériques dans les échantillons infectés par un virus sont introduites artificiellement et principalement par des ligatures aléatoires pendant la construction de cette banque.
Les auteurs suggèrent que bien que Zhang et al. (PNAS 2021) aient découvert que le SARS-CoV-2 pouvait être rétro transcrit et intégré dans le génome de cellules cultivées in vitro et surexprimant LINE-1, cela ne se produirait pas durant une infection naturelle par le SARS-CoV-2. Les auteurs concluent qu’à l’appui de ces conclusions, ils apportent la preuve évidente que le SARS-CoV-2 ne s’intègre pas dans le génome de l’hôte.
Zhang et al. Viruses 2023
LINE1-Mediated Reverse Transcription and Genomic Integration of SARS-CoV-2 mRNA Detected in Virus-Infected
but Not in Viral mRNA-Transfected Cells
Dans cette nouvelle étude publiée le 25 février 2023, Zhang et al., persistent et signent. Ils confirment la présence de rétro transcriptions médiées par le transposon LINE-1 dans le génome de cellules humaines surexprimant LINE-1 et infectées in vitro par le SARS-CoV-2. Dans ces cellules, la surexpression de LINE-1 a permis d’augmenter les rétro transpositions d'environ 1000 fois par rapport aux cellules ne surexprimant pas LINE-1. De plus, la méthode TagMap a permis de détecter des rétro transpositions virales rares dans les cellules ne surexprimant pas LINE-1.
Selon les auteurs, une question importante est de savoir si l'ARNm du vaccin peut être soumis à une rétro transposition médiée par LINE-1.
Pour répondre à cette question les chercheurs ont comparé l'infection des cellules humaines 293T par le SARS-CoV-2 et la transfection (mimant la vaccination par ARNm) de ces mêmes cellules par l'ARNm codant pour la nucléocapside virale. Les résultats analysés par la méthode TagMap ont confirmé la présence de séquences rétro transposées du SARS-CoV-2 dans les cellules infectées par le virus, mais pas dans les cellules transfectées par l’ARNm.
Les auteurs proposent plusieurs possibilités pour expliquer ce résultat : (i) l'abondance relative de l'ARN viral est presque deux ordres de grandeur (100 fois) plus élevée dans les cellules infectées que dans les cellules transfectées, ce qui augmenterait la probabilité d'association avec les protéines LINE-1 ;
(ii) l'infection virale, mais pas la transfection de l'ARNm viral, peut induire l'expression endogène de LINE-1 ;
(iii) plusieurs facteurs au cours de l’infection par le SARS-CoV-2 peuvent inhiber la fonction antivirale/anti-rétro transposition des granules de stress, ce qui pourrait augmenter la rétro transposition.
En bref, pour les auteurs, le phénomène d’intégration ne devrait pas se produite avec les ARNm utilisés dans les vaccins anti-SARS-CoV2. Signalons enfin que ces études ont été réalisées sur des cellules humaines in vitro.
Autres possibilités ?
Ces diverses recherches sur l’intégration par rétro transcription du génome du SARS-CoV-2 dans le génome de l’hôte ont été motivées par le fait que des malades ayant été infectés par le virus restaient positifs en RT/PCR (détection du génome viral) pour de longues périodes après guérison.
Mais il existe d’autres explications à ces observations : les réservoirs du virus et les modifications de génome de l’hôte par le virus.
Deux études récentes (Stein et al., 2022 Nature; et Proal et al., 2023, Nature Immunol) ont montré qu’il existait des « réservoirs » du virus chez les personnes infectées dans les tissus respiratoires et non respiratoires, y compris le cerveau. L’existence de ces réservoirs expliquerait le fait que le génome du SARS-CoV-2 (entier ou en partie) puisse se retrouver chez les malades plusieurs mois après une infection « guérie ». Ces deux études sont résumées ci-dessous.
Les « réservoirs » du virus
Stein et al. Nature 2022
SARS-CoV-2 infection and persistence in the human body and brain at autopsy.
La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est connue pour provoquer un dysfonctionnement multi organe lors d'une infection aiguë par le SARS-CoV-2, et chez certains patients présentant des symptômes prolongés, appelés séquelles post-aiguës du SARS-CoV-2 (ou COVID longue). Dans cette étude publiée en décembre 2022, les auteurs ont réalisé des autopsies complètes sur 44 patients décédés de la COVID-19, avec un échantillonnage approfondi du système nerveux central chez 11 de ces patients, pour cartographier et quantifier la distribution, la réplication et le tropisme cellulaire du SARS-CoV-2 dans le corps humain, y compris le cerveau, depuis l'infection aiguë jusqu'à plus de sept mois après l'apparition des symptômes. Les résultats montrent que le SARS-CoV-2 est largement distribué, principalement parmi les patients décédés de la COVID-19 sévère, et que la réplication du virus est présente dans de nombreux tissus respiratoires et non respiratoires, y compris le cerveau, au début de l'infection. De plus, l’ARN du SARS-CoV-2 persiste dans plusieurs sites anatomiques, y compris dans tout le cerveau, jusqu’à 230 jours dans un cas après l’apparition des symptômes. Ces résultats confirment que chez certains patients, le SARS-CoV-2 peut provoquer une infection systémique et persister dans l’organisme pendant des mois.
Proal et al. Nature Immunol 2023
SARS-CoV-2 reservoir in post-acute sequelae of COVID-19
Des millions de personnes souffrent de COVID longue ou de séquelles post-aiguës de COVID-19. Plusieurs facteurs biologiques sont apparus comme des facteurs potentiels de cette pathologie. Certaines personnes peuvent ne pas éliminer complètement le coronavirus SARS-CoV-2 après une infection aiguë. Au lieu de cela, le virus en cours de réplication et/ou l'ARN viral, potentiellement capable d'être traduit pour produire des protéines virales, persistent dans les tissus en tant que « réservoir ». Ce réservoir pourrait moduler les réponses immunitaires de l'hôte ou libérer des protéines virales dans la circulation. Les mécanismes par lesquels un réservoir de SARS-CoV-2 peut contribuer à la pathologie, y compris la coagulation, le microbiome et les anomalies neuro-immunes, sont décrits dans cet article. Les auteurs identifient les priorités de recherche dans le but d’accélérer les essais cliniques d’antiviraux ou d’autres thérapies ayant pour potentiel d’éliminer le réservoir de SARS-CoV-2.
Modifications du génome de l’hôte par le virus
On sait que les virus sont capables d’affecter le génome de leur hôte de façon indirecte, sans pour autant s’y intégrer. C’est ce que montrent deux études récentes sur le sujet (Li et al. J Med Virol 2022 ; et Grand, J Gen Virol 2023).
Li et al. J Med Virol 2022
SARS‐CoV‐2‐encoded inhibitors of human LINE‐1 retrotransposition
Dans cette étude publiée en avril 2022, les auteurs ont étudié les effets des protéines virales codées par le SARS-CoV-2 sur l'activité intracellulaire des rétro transposons LINE-1. Plusieurs protéines du SARS-CoV-2 (notamment Nsp1, Nsp3, Nsp5 et Nsp14) suppriment de manière significative la mobilité du LINE-1 humain, affectant ainsi fortement sa transposition. Plus précisément, Nsp1 et Nsp14 inhibent l'accumulation intracellulaire de la protéine LINE-1, tandis que Nsp3, Nsp5 et Nsp14 répriment son activité de transcriptase inverse. Compte tenu du rôle de LINE-1 dans l'activation immunitaire antivirale et l'instabilité du génome de l'hôte, le SARS-CoV-2 pourrait utiliser cette stratégie pour modifier et optimiser l'environnement génétique de l'hôte à son profit. D’autres virus tels que le virus du SIDA (HIV), de l’hépatite C (HCV) et les entérovirus sont également capables d’inhiber l’activité des rétro transposons LINE-1. Ces résultats sont en contradiction avec ceux de Zhang et al. PNAS 2021 et Viruses 2023.
Grand, J Gen Virol 2023
SARS-CoV-2 and the DNA damage response
Peut-être parce qu’il s’agit d’un virus à ARN se répliquant en grande partie dans le cytoplasme, l’effet du SARS-CoV-2 sur la stabilité du génome et les réponses aux dommages de l’ADN ont été relativement peu étudiées. Dans cet article publié en novembre 2023, l’auteur insiste sur le fait que le virus SARS-CoV-2 provoque une instabilité du génome, et endommage l’ADN cellulaire, comme le montrent par exemple la présence de micronoyaux, d’une augmentation des cassures de l’ADN et de foyers de réparation de l’ADN dans les cellules infectées. La capacité du virus à provoquer une sénescence cellulaire est également prise en compte, tout comme les implications de l’instabilité du génome pour les patients souffrant de COVID longue.
Le SARS-CoV-2 endommage l’ADN cellulaire en générant des espèces chimiques réactives de l’oxygène (les ROS), qui peuvent provoquer des cassures double et simple brin, des liaisons croisées intra et inter brin et des modifications des bases nucléotidiques dans l’ADN. Les ROS sont générées au cours de l’infection virale, généralement par l’activation de multiples voies inflammatoires. Ces effets sont amplifiés par la capacité du virus à réguler à la baisse les voies antioxydantes des cellules hôtes, facilitant ainsi la réplication et la possible régulation à la hausse des gènes pro-oxydants.
De plus, il a été montré que des protéines virales peuvent s’associer avec diverses protéines impliquées dans différentes voies de réparation de l’ADN et inhiber leur action, ouvrant ainsi la voie à des mécanismes d’instabilité de l’ADN.
Conclusion
Le débat sur la présence ou l’absence d’intégration du génome viral dans le génome de l’hôte médiée lors d’une infection naturelle par le rétro transposon LINE-1 reste ouvert, bien que le nombre d’arguments contre soit plus élevé que le nombre des arguments pour.
Une telle intégration génétique pourrait représenter deux opportunités opposées : i) pour le virus, elle favoriserait une infection et une transmission persistantes ; ii) pour l’hôte, elle créerait une « mémoire » immunologique (de type CRISPR) fournissant aux cellules infectées une empreinte moléculaire du virus pour le combattre efficacement. La question là aussi reste ouverte.
Toutefois, en ce qui concerne la possibilité que les ARNm injectés lors de la vaccination soient rétro transcrits dans le génome de l’hôte, le consensus scientifique est clair : la réponse est non. Et Zhang et al. (Viruses 2023), le tenants de l’intégration lors d’une infection naturelle, ont clairement identifié les raisons pour lesquelles ce phénomène ne peut se produire (voir plus haut).
Les facteurs responsables la persistance du SARS-CoV-2 chez les malades atteint d’une COVID-19 sévère ou d’une COVID-19 longue restent à être explorés. L’ARN du SARS-CoV-2 dans les sites réservoirs de ces malades est-il activement transcrit, traduit, répliqué et/ou est infectieux ? Plus généralement, l’étude des réservoirs du SARS-CoV-2 et des facteurs biologiques associés à sa pathologie pourrait permettre d’identifier des mécanismes de la maladie, des biomarqueurs et des thérapies pour d’autres maladies chroniques de plus en plus liées à une infection virale persistante comme l’encéphalomyélite myalgique, le syndrome de fatigue chronique, la maladie d’Alzheimer et les maladies auto-immunes telles que la sclérose en plaques et le lupus érythémateux disséminé. Bien qu’un nombre croissant de preuves relie la pathogenèse de ces maladies à l’activité de virus à ADN persistants, il est possible que les virus à ARN, étudiés auparavant principalement pour leur capacité à provoquer des maladies aiguës, puissent également contribuer à la maladie de manière chronique.
Date de dernière mise à jour : 17/08/2024
Ajouter un commentaire