Glyphosate et Cancer
Quand le pire n’est jamais certain…
Après les multiples polémiques générées par l’utilisation du glyphosate considéré par le Centre Recherche International sur le Cancer (CIRC) comme un agent “cancérogène probable”, il est intéressant de se pencher sur une étude publiée en ligne en Novembre 2017 dans la revue Journal of the National Cancer Institute (Andreotti et al. voir le résumé sur PubMed ici).
Cette très large étude prospective montre que l’utilisation du glyphosate n’a pas d’impact sur le risque de tumeurs solides, ainsi que sur les cancers lymphohématopoïétiques, les lymphomes non-Hodgkiniens et les myélomes multiples chez les personnels agricoles utilisateurs.
Préambule
L’étude émane d’un consortium universitaire Américain
- Occupational and Environmental Epidemiology Branch, Biostatistics Branch, and Formerly of Occupational and Environmental Epidemiology Branch, Division of Cancer Epidemiology and Genetics, National Cancer Institute, National Institutes of Health, Department of Health and Human Services, Bethesda, MD
- Epidemiology Branch, National Institute of Environmental Health Sciences, National Institutes of Health, Department of Health and Human Services, Research Triangle Park, NC
- Department of Epidemiology, University of Iowa, Iowa City, IA; State Health Registry of Iowa, Iowa City, IA
- Department of Environmental and Occupational Health, Drexel University Dornsife School of Public Health, Philadelphia, PA.
Support financier
- National Institutes of Health, National Cancer Institute, Division of Cancer Epidemiology and Genetics (Z01CP010119), National Institute of Environmental Health Science (NIEHS; Z01ES0490300)
- Iowa Cancer Registry (HHSN261201300020I), and Iowa’s Holden Comprehensive Cancer Center (P30CA086862),
- NIEHS-funded Environmental Health Sciences Research Center at the University of Iowa (P30ES005605).
Conflit d’intérêt
Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt financier. Les organismes ayant financé l’étude (ci-dessus) n’ont pris aucune part à sa conception, aux données collectées, à l’analyse et à l’interprétation de ces données, à la rédaction de l’article ou à la décision de soumettre la publication.
Introduction
Ce travail est basé sur les données collectées dans le cadre d’une large étude de santé agricole (Agricultural Health Study, AHS) (www.aghealth.nih.gov/about/) coordonnée par un comité excécutif de chercheurs (épidémiologistes, généticiens, toxicologues, spécialistes des interactions entre environnement et cancers, notamment dans la population agricole) de divers instituts de recherche publics aux Etats Unis : National Cancer Institute, National Institute for Occupational Safety and Health, National Institute of Environmental Health Sciences, Environmental Protection Agency (www.aghealth.nih.gov/about/ec.cc.html).
Une première publication de ce groupe concernait l’utilisation du glyphosate dans une cohorte de travailleurs agricoles enrôlés dans l’étude entre 1993 et 1997 et incluait 2088 cas de cancers diagnostiqués entre 1993 et 2001. Cette étude n’avait montré aucun lien statistiquement significatif entre utilisation du glyphosate et divers cancers et suggérait seulement une possible association dans les cas de myélomes multiples, en demandant toutefois une poursuite des études (De Roos et al. Environ. Health Perspect. 2005).
L’étude décrite ici est une poursuite de ces travaux et porte sur une cohorte de 57310 travailleurs agricoles des Etats de Caroline du Nord et d’Iowa ayant complété des questionnaires standardisés (www.aghealth.nih.gov/collaboration/question naires.html), et 7290 cas de cancers diagnostiqués selon la classification des Maladies Oncologiques, enregistrés jusqu’en 2012 et 2013.
Protocole de l’étude
Les modalités d’utilisation du glyphosate et de 49 autres pesticides spécifiant le nombre de jours d’utilisation par an, le nombre d’années d’utilisation et les conditions d’utilisation ont été déterminées à partir des questionnaires standardisés remplis par les travailleurs. A partir de ces informations trois paramètres d’exposition ont été évalués : non utilisation, le nombre de jours d’utilisation cumulée (jours par an x nombre d’années) et le nombre de jours d’utilisation cumulée, pondéré par un score d’intensité calculé selon la méthode de manipulation des produits, les méthodes d’application, la réparation des équipements d’application, et l’utilisation de protections.
Pour l’analyse des résultats, ont été exclus les 1096 personnes atteintes de cancer au moment de l’enrôlement dans la cohorte, les 343 personnes qui ne vivaient pas dans l’un des deux états (Iowa et Caroline du Nord) et les 1620 personnes n’ayant donné aucune information sur l’utilisation du glyphosate au moment de leur enrôlement. Au total, l’étude a porté sur 54251 personnes.
La distribution des nombres de jours d’exposition cumulée a été répartie en quartiles ou en tertiles.
Le risque relatif de contracter un cancer après utilisation d’un produit A par rapport à la non-utilisation de ce produit est de 1,0 si l’utilisation n’a pas d’effet, supérieur à 1,0 si l’utilisation augmente le risque de cancer et inférieur à 1,0 si l’utilisation diminue le risque de cancer. Dans ce travail, la valeur de ce risque relatif était considérée significative statistiquement (c’est à dire non due au hazard) si la valeur de p était infèrieur à 0,05.
Ce risque relatif concernant l’effet de l’utilisation du glyphosate sur la survenue de cancers a été ajusté en fonction de l’âge des personnes, de leur qualité de fumeur, d’ancien fumeur ou de non fumeur, de leur consommation d’alcool par mois (aucune, <7, >7), de leur histoire familiale de cancers (oui ou non), de leur état de recrutement (Iowa ou Caroline du Nord), et des 5 pesticides les plus fréquemment associés au glyphosate en prenant en compte le nombre de jours d’utilisation cumulée, pondéré par le score d’intensité (atrazine, alachlor, métolachlor, trifluralin, 2,4-dichlorophénoxyacétique). L’exposition retardée a également été prise en compte (5, 10, 15, 20 ans). D’autres facteurs ont été pris en compte, exposition à des solvants, aux carburants, aux RX, aux gaz d’échappement de moteurs à combustion.
Résultats de l’étude
Parmi les 54251 participants à l’étude, 44932 avaient déjà été exposés au glyphosate au moment de leur enrôlement dans la cohorte ou l’ont été durant le suivi de l’étude. Le nombre moyen de jours d’utilisation cumulée par an était de 48 (20-166) et le nombre moyen d’années de 8,5 (5-14). Un total de 7290 cas de cancer a été enregistré durant toute la période de suivi.
Parmi les 5779 personnes qui ont utilisé le glyphosate et chez qui un cancer a été diagnostiqué durant l’étude, le nombre moyen de jours d’utilisation cumulée par an était de 38,75 (14–109) et le nombre moyen d’années de 8 (3,5-13).
Il n’a pas été trouvé de corrélation entre l’exposition au glyphosate et le risque de cancers ou de maladies lymphohématopoiétiques malignes. Il n’y a pas eu non plus d’association entre glyphosate et lymphomes non-Hodgkiniens de tout type.
Par contre, une tendance quoique non significative statistiquement a été observée entre utilisation du glyphosate et leucémie myéloïde aiguë (AML) pour le quartile supérieur du nombre de jours d’utilisation cumulée, par rapport aux non utilisateurs avec un risque relatif (RR) de 2,44 et p=0.11.
Les auteurs ont également évalué l’impact de la durée d’utilisation du glyphosate sur les cancers lymphohématopiétiques.
Pour tous ces cancers, le risque relatif pour le quartile supérieur du nombre de jours d’exposition cumulée était de 1,0 (p=0.43) à 5 ans et de 1,14 à 20 ans.
Pour le total des lymphomes non Hodgkiniens, le risque relatif était de 0.87 à 5 ans (p=0.73), et de 1.12 à 20 ans (p=0.62).
Ces résultats montraient une nouvelle fois une absence de corrélation entre l’exposition au glyphosate et le risque de cancers ou de maladies lymphohématopoiétiques malignes et les lymphomes non-Hodgkiniens de tout type.
Pour les leucémies myéloïdes aigues et pour le quartile ou tertile supérieur du nombre de jours d’utilisation cumulée, le risque relatif était de 2,32 (p=0.07) à 5 ans (56 cas d’utilisation), et de 2,04 et statistiquement significatif (p=0.04) à 20 ans (32 cas d’utilisation).
Enfin, la pris en compte de l’utilisation d’autres pesticides associés au glyphosate n’a pas changé les risques estimés.
Discussion
Cette très large étude prospective montre que l’utilisation du glyphosate n’a pas d’impact sur le risque de tumeurs solides, et notamment les cancers lymphohématopoïétiques, les cancers non-Hodgkiniens et les myélomes multiples chez les personnels agricoles utilisateurs.
Les résultats d’Andreotti et al., vont à l’encontre des conclusions des groupes de travail de l’Agence Internationale pour la Recherche sur le Cancer (IARC). En 2015, cette agence avait classé le glyphosate comme “probable carcinogène” pour l’homme. Ce classement était basé sur des observations d’effets génotoxiques et de stress oxydatif essentiellement obtenues in vitro sur des lignées cellulaires animales et humaines, in vivo chez l’animal et sur des populations Colombiennes exposées au glyphosate après épandage du produit (Paz-y-Mino, 2007 ; Bolognesi 2009). Cependant, une autre étude Colombienne réalisée sur des prélèvements sanguins ne montrait pas d’effet du glyphosate sur l’ADN et les chromosomes (Paz-y-Mino, 2011). D’autres études “cas-témoin” signalaient une relation entre exposition au glyphosate et cancers, et notamment des lymphomes non-Hodgkiniens et des myélomes multiples (De Roos 2003 ; Hardell 2002 ; Eriksson 2008 ; Orsi 2009 ; Cocco 2013 ; Brown 1993 ; Kachuri 2013).
Alors, pourquoi ce désaccord ?
Selon Andreotti et al., une des possibilités est la différence dans la conception de ces études. L’étude analysée ici est une étude prospective. Dans ce type d’étude “longitudinale”, les participants formant la cohorte sont recrutés avant que la maladie (ici les cancers) ne se développe et sont suivis pendant toute la durée de l’étude (plusieurs années). Au contraire, dans les études cas-témoin un groupe de personnes atteintes d'une maladie (cas, ici cancer) à un moment donné, est comparé à un groupe de sujets qui n'ont pas la maladie étudiée (témoins). Le but est la recherche d'un ou des facteurs d'exposition antérieurs (par exemple le glyphosate) à la maladie susceptible de pouvoir l'expliquer. Les spécialistes en épidémiologie et statistique s’accordent à penser que les études de cohortes constituent la meilleure façon d'étudier le rôle d'agents de l'environnement au sens large du terme vis-à-vis du risque de développer certaines maladies.
De plus, ces études ont été conduites à diverses périodes (1993-2015) durant lesquelles les pratiques agricoles et les méthodes d’application des pesticides ont changé, de même que les équipements de protection, les formulations utilisées et les doses appliquées. Tous ces paramètres ont forcément un impact certain sur les niveaux d’exposition à ces produits.
Ces résultats sur l’absence d’impact du glyphosate sur la survenue de cancers chez les personnels agricoles doivent être considérés dans le cadre d’une étude récente publiée par une équipe Française (Defarge 2016). Ces chercheurs ont étudié l’effet perturbateur endocrinien des herbicides contenant du glyphosate. Leurs résultats montrent que cet effet n’est pas à proprement parler dû au glyphosate lui-même (qui s’est avéré non actif) mais aux produits (co-formulants) qui lui sont associés (polyethoxylated tallow amine et alkyl polyglucoside) dans les formulations commerciales. Ces co-formulants étaient forcément présents dans les formulations utilisées par les personnels de l’étude AHS sur laquelle reposent les résultats de Andreotti et al.
Les co-formulants associés au glyphosate n’auraient-ils donc pas d’impact non plus sur la survenue de cancers ?
Dernier point : dans une déclaration publiée le 28 Avril dernier, Santé Canada a autorisé l’utilisation du glyphosate pour une nouvelle période de 15 ans.
La saga politico-scientifique du glyphosate: retour sur d'inquiétantes dérives
par le Professeur Alfred Bernard, Toxicologue, Université Catholique de Louvain, Belgique.
Cet article a été publié dans Journal International de Médecine, le 17 Février 2018 et retranscrit ici in extenso
La saga politico scientifique du glyphosate: retour sur d'inquiétantes dérives (829.63 Ko).
Suite de l'affaire
Article publié le 27/02/2018 par le Journal International de Médecine
Glyphosate : Nicolas Hulot prêt à envisager des « exceptions »
Paris, le mardi 27 février 2018 – Bien qu’ayant milité activement pour que l’Europe n’accorde pas de nouvelle autorisation au glyphosate, composé essentiel de nombreux herbicides massivement utilisés, la France n’est pas parvenue à convaincre la majorité de ses partenaires. A l’issue d’une très longue bataille, l’Europe a en effet accepté de renouveler la licence de cette substance pour une période de cinq ans. Les agriculteurs français qui sont une majorité à souhaiter pouvoir continuer à utiliser ce produit, qui ne connaîtrait pas d’alternatives aussi efficaces (et finalement aussi peu toxiques !) n’ignoraient pas que la bataille n’était pas achevée pour eux. Immédiatement en effet, le Président de la République avait annoncé une suppression du glyphosate dans les trois ans en France. Mais aujourd’hui, la position du gouvernement est moins rigide. Fin janvier, déjà, le ministre de l’Agriculture avait indiqué que la France allait « essayer de sortir » du glyphosate. Puis, ce dimanche, le ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot a promis que des « exceptions » pourraient être aménagées s’il apparaissait dans certains domaines qu’aucune alternative ne pourrait être trouvée. Cet assouplissement sera vécu comme un nouveau renoncement pour ceux qui sont convaincus de la nécessité d’une disparition du glyphosate et a contrario comme à un retour à la raison pour ceux qui, études à l’appui, ont pu constater que la toxicité du glyphosate n’est peut- être pas aussi forte que certains le redoutent.
A suivre…
Date de dernière mise à jour : 27/02/2018
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