Une mise en garde ignorée 

 

La pandémie de SRAS 2002-2003

 

La pandémie de SRAS 2002-2003 qui débuta en Chine en 2002 était due à un nouveau type de beta-coronavirus qui fut appelé SARS-CoV (Severe Acute Respiratory Syndrome). Cette pandémie a généré de nombreuses études sur ce virus très proche du SARS-CoV-2 qui nous occupe actuellement. Il était donc intéressant de revenir sur cette pandémie de SRAS 2002-2003, notamment pour voir si la leçon avait été comprise.

 

Il apparaît que non ! Et pourtant...

 

En Octobre 2007, un article* publié par un groupe chinois de l’université de Hong Kong faisait le point sur la pandémie de SARS-Cov de 2002-2003.

* Vincent C. C. Cheng, Susanna K. P. Lau, Patrick C. Y. Woo, and Kwok Yung Yuen: Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus as an Agent of Emerging and Reemerging Infection. CLINICAL MICROBIOLOGY REVIEWS, Oct. 2007, p. 660–694.

 

Il est saisissant de voir à quel point les auteurs de cet article étaient visionnaires et leurs recommandations prémonitoires.

 

Cet article (traduit de l'Anglais) commence ainsi :

« La rapide progression de l'économie dans le sud de la Chine a entraîné une augmentation de la demande de protéines animales, y compris celles provenant de gibier exotique tels que la civette du palmier masquée. Un grand nombre et une grande variété de ces mammifères sauvages entassés dans des cages surpeuplées et le manque de mesures de biosécurité sur les marchés a permis le passage de ce nouveau virus (le SARS-CoV) de l'animal à l'homme. Sa capacité de transmission interhumaine, le manque de sensibilisation dans le contrôle des infections dans les hôpitaux et les voyages intercontinentaux ont permis la diffusion mondiale et rapide de ce virus. Plus de 8 000 personnes ont été touchées, avec un taux brut de mortalité de 10 %. L’impact violent et dramatique sur les systèmes de santé, les économies, et les sociétés des pays touchés dans les quelques mois qui ont suivi le début de l'année 2003 a été sans précédent depuis la dernière peste (grippe espagnole). La faible réémergence du SARS-CoV fin 2003 après la reprise des marchés de la faune sauvage dans le sud de la Chine et la découverte récente d’un virus très similaire chez la chauves-souris fer à cheval, suggéraient que ce virus pouvait réapparaître si des conditions favorables à sa transmission se présentaient à nouveau. »

Après une revue sur le virus et l’infection qu’il provoque, cet article se termine ainsi :

« La présence d’un grand réservoir de SARS-CoV dans les chauve-souris fer à cheval, associée aux us et coutumes de consommation d’animaux sauvages exotiques dans le sud de la Chine représentent une bombe à retardement. La possibilité d’une réémergence de SARS-CoV ou d’autres nouveaux virus à partir d’animaux ou de laboratoires, et la nécessité d’être préparé à une telle opportunité ne devraient pas être ignorées. »

 

Mais si ! Ces mises en garde ont été ignorées !

 

La pangolin a remplacé la civette et le SARS-CoV-2 a pris la place du SARS-CoV-1.

 

A quand le SARS-CoV-3 ?

 

Mais l’analogie entre SRAS2002-2003 et Covid-19 ne s’arrête pas là.

 

Pandémie de SRAS 2002-2003, issue de contacts entre animaux sauvages et humains

Le SRAS a été la première grande pandémie causée par un coronavirus.

Cette pandémie toucha 8 096 personnes et provoqua 774 décès dans plus de 30 pays sur les cinq continents. La maladie apparut pour la première fois dans la province de Guangdong (Ville de Canton), fin 2002. Elle se présenta comme une épidémie de pneumonie atypique aiguë d'origine communautaire. La surveillance rétrospective révéla des cas graves de la maladie dans cinq villes autour de Guangzhou sur une période de 2 mois.

Le cas premier cas fut signalé à Foshan, une ville située à 24 km de Guangzhou. Le deuxième cas fut un chef cuisinier de Heyuan qui travaillait dans un restaurant à Shenzhen. Cette personne avait eu des contacts réguliers avec des animaux sauvages destinés à l'alimentation humaine. Sa femme, ses deux sœurs et sept membres du personnel hospitalier qui ont eu des contacts avec lui furent infectés. Du 16 novembre 2002 au 9 février 2003, 305 cas furent signalés en Chine continentale, avec 105 de ces cas impliquant des professionnels de santé.

La pandémie proprement dite débuta à Hong Kong le 21 Février 2003 avec l’arrivée d'un professeur de néphrologie contaminé par ses patients dans un hôpital de Guangzhou. En une journée il transmit l’infection à 16 personnes dans l’hôtel où il résidait. Son beau-frère, qu’il avait contaminé, subit une biopsie pulmonaire à partir de laquelle l'agent étiologique fut découvert et isolé pour la première fois. Il s'agissait d'un nouveau coronavirus, qui fut appelé appelé SRAS-CoV.

Des personnes infectées ont ensuite transporté la maladie dans les hôpitaux de Hong Kong et, outre d’autres régions de la Chine, puis vers d'autres pays et continents dont le Vietnam, le Canada, Singapour, les Philippines, la Royaume-Uni, les États-Unis.

 

Carlo Urbani, le lanceur d’alerte

A l’instar du Dr Li Wenliang qui fut le premier à annoncer l'émergence d’une pneumopathie atypique accompagnée d’insuffisance respiratoire sévère à Wuhan, le Dr Carlo Urbani a été le lanceur d’alerte du SRAS 2002-2003.

Et comme Li Wenliang, il devait en mourir un mois plus tard.

Le 28 février 2003, l'hôpital français du Vietnam à Hanoi, un hôpital privé d'environ 60 lits, contacta l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Un patient s'était présenté avec un virus inhabituel de type grippal. Les responsables de l'hôpital qui soupçonnaient un virus de la grippe aviaire demandèrent à l'OMS de dépêcher sur place un médecin afin qu'il prenne en charge les premiers malades. Le docteur Carlo Urbani, spécialiste en maladies infectieuses, accepta ce rôle.

 

Carlo urbani

Carlo Urbani

Quelques semaines plus tard, lui et cinq autres professionnels de la santé seraient morts de cet agent pathogène jusqu'alors inconnu. Nous savons maintenant que Hanoi fut alors un des premiers sites de la pandémie de SRAS.

Le Dr Urbani comprit rapidement qu’il était confronté à une chose d'inhabituelle. Son premier patient fut un homme d'affaire chino-Américain Johnny Chen. Pendant les jours qui ont suivi, il choisit de rester à demeure dans l'hôpital, en collectant les résultats, en organisant l’envoi des prélèvements pour des tests, et en tentant de contrôler l'infection. Sur son initiative, l'hôpital mit en place un service d'isolement placé sous surveillance.

Sur les 60 premiers patients atteints du SRAS, plus de la moitié étaient des professionnels de santé qui durent se mettre en quarantaine pour protéger leur familles et la communauté. D’autres continuèrent leur activité en s'exposant à de grands risques, en décidant de dormir à l'hôpital pour se couper efficacement du monde extérieur.

Immédiatement, l'OMS demanda une réunion d'urgence le dimanche 9 mars 2003 avec le Vice-ministre de la santé du Vietnam. La discussion de quatre heures à laquelle avait participé de Dr Urbani, conduisit le gouvernement à prendre des mesures extraordinaires de mise en quarantaine de l'hôpital français du Vietnam, en introduisant de nouvelles procédures de contrôle des infections dans d'autres hôpitaux, et en lançant un appel international en terme de recherche d'expertise et d'assistance.

Des spécialistes supplémentaires de l'OMS et les centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) arrivèrent sur les lieux. Médecins sans Frontières (MSF, ou Médecins sans frontières) dont Carlo Urbani était membre, répondit à l’appel avec l’envoi de plusieurs membres de son personnel ainsi que de kits de protection (gants, masques, blouses) qui avaient été auparavant stockés pour l’épidémies du virus Ebola. L’hôpital Français du Vietnam fut fermé temporairement, et les patients pris en charge dans deux services de l'hôpital public de Bach Mai, avec l'aide d'une équipe de MSF. Aucun nouveau cas chez les professionnels de la santé ne fut signalé, et l'épidémie au Vietnam fut contenue.

En traitant l'épidémie de façon transparente et décisive, le Vietnam prit le risque de voir ternir son image et son économie, mais évita ainsi une suite catastrophique qui serait survenue s’il s’était réfugié dans le secret.

Le Dr Urbani n’allait pas survivre et voir les fruits de son travail. Le 11 mars 2003, il commença à présenter des symptômes lors d'un vol de 4 heures vers Bangkok où une réunion médicale d'urgence réclamait sa présence. À son arrivée, il dit à un collègue du CDC venu l'accueillir à l'aéroport de ne pas l'approcher. Ils se sont assis à distance l’un de l’autre, en silence, en attendant une ambulance pour pouvoir revêtir des équipements de protection. Il combattit le SRAS pendant 18 jours dans une chambre d'isolement improvisée dans un hôpital de Bangkok et décéda le 29 Mars 2003, un mois après avoir vu son premier cas de SRAS.

A son épouse (qu'il laissa avec ses trois enfants) qui lui reprochait, quelques semaines avant, de prendre trop de risques, il avait répondu : « Si je ne peux travailler dans de telles circonstances, à quoi donc pourrais-je servir ? Répondre aux emails, participer à des cocktails, rédiger des articles ?

Des services de réanimation débordés et du matériel de protection manquant

Tous les patients dans l'épidémie vietnamienne qui sont décédés étaient des professionnels de santé, de même que 25 % des patients atteints du SRAS à Hong Kong, y compris le directeur général de la l'administration hospitalière. Les services de soins intensifs étaient débordés, d’une part du fait de l’afflux brutal et massif de malades, et d’autre part du fait de ne pouvoir obtenir les équipements de lutte nécessaires contre les infections (masques, gants, etc.). En effet, les pays fabriquant ses équipements s'accrochaient à leurs stocks, en se préparant pour la pandémie de SRAS qui allait arriver à leur frontières.

 

Ces analogies entre SRAS 2002-2003 et Covid-19 sont réellement saisissantes

  • même type de coronavirus
  • même type de symptomes
  • même origine par une transmission animal sauvage-homme
  • puis transmission interhumaine
  • mêmes problèmes de débordement des services d'urgence
  • mêmes problèmes logistiques d'approvisionneent des matériels de protection pour les soignants
  • même lourd tribut à la maladie payé par les personnels soignants

Mais la comparaison s'arrête là. A ce jour (28 Mars 2020), Covid-19 a touché plus de 660 000 personnes (30864 décès) contre seulement un peu plus de 8000 pour le SRAS 2002-2003 (774 décès). 

Espérons qu'à l'issue de cette pandémie de Covid-19 la leçon sera retenue et que toutes les mesures (politique de santé, organisation des stocks, habitudes alimentaires, politique industrielle et moyens logistiques, etc.) seront prises afin d'éviter qu'une telle pandémie ne se reproduise un jour. J'avoue être pessimiste sur ce point précis. L'espèce humaine sa caractérise par une prodigieuse capacité à l'oubli...

 

Sources

  • Brigg Reilley, M.P.H., Michel Van Herp, M.D., M.P.H., Dan Sermand, Ph.D., and Nicoletta Dentico, M.P.H. New England Journal of Medicine 2003
  • Fiona Fleck. British Medical Journal 2003
  • Yvan Oransky. The Lancet 2003

 

Date de dernière mise à jour : 29/03/2020

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