Fraude en Chine

Fraude à la publication scientifique en Chine

 

Cent sept (107) articles émanant de chercheurs Chinois ont été retirés de la publication dans une revue scientifique internationale (Tumor Biology, Springer Ed.) après la découverte d’irrégularités dans la procédure d’évaluation de ces publications par le comité de lecture Stigbrand retractation tumor biol 2017Stigbrand retractation tumor biol 2017.

Ce sont des événements récents, imputés à des groupes de recherche Chinois, qui m’ont incité à aborder ce thème de la fraude scientifique. Cependant, il ne faut évidemment pas penser que cela ne concerne que la Chine. Des chercheurs (heureusement très minoritaires) de tous pays se sont laissés aller à la fraude, dont on pourrait dire qu’elle est aux scientifiques ce que le dopage est aux sportifs de haut niveau. 

 

Mais avant d’aborder ce thème de la fraude scientifique, il est bon de préciser certains aspects du travail des chercheurs - et notamment les publications scientifiques - qui ne sont pas forcément bien connus du grand public.

Projets de recherche et leur financement

Les équipes de recherche sont construites autour d’un responsable qui en assure non seulement la direction scientifique, mais aussi financière. Les recherches réalisées s’inscrivent dans le cadre de projets qui ont forcément un coût dont le financement est assuré par diverses instances : universités, centres de recherche publics (en France, Inserm, Cnrs, Institut Pasteur, ect.) ou privés, communauté Européenne ou autres, fondations, industries, etc.

L’obtention d’un financement pour un projet de recherche est loin d’être une simple formalité. Le projet doit être soumis aux diverses instances citées ci-dessus et sélectionné parmi un nombre très important d’autres projets émanants d’autres équipes nationales et/ou internationales. La compétition est rude et l’obtention du financement constitue déjà un premier succés.

Les publications scientifiques

Lorsqu’après avoir complété une série d’expériences et de travaux dans le cadre de son projet de recherche, une équipe scientifique estime qu’elle a atteint le but qu’elle s’était fixé, elle doit publier ses résultats et conclusions. Pour cela elle soumet à une revue scientifique internationale à comité de lecture un “manuscrit” sur son travail (ici le terme manuscrit signifie que l’article soumis n’est pas encore accepté pour publication).

Un article/manuscrit scientifique est généralement organisé de la façon suivante :

- Titre

- Auteurs

- Résumé

- Introduction

- Partie expérimentale : les malades, les modèles biologiques animaux et/ou cellulaires, les molécules étudiées, les méthodes et techniques utilisées, etc.

- Résultats : présentés sous forme de commentaires, figures et tables

- Discussion : les résultats sont confrontés à ce qui était connu sur le sujet

- Références biobliographiques : l’ensemble des publication scientifiques sur lesquelles repose le travail présenté. C’est sur ces références qu’est basé le facteur d’impact (voir ci-dessous).

 

Le manuscrit ainsi qu’une lettre précisant l’objet de la recherche et les résultats principaux sont envoyés par le responsable de l’équipe à l’éditeur de la revue scientifique. Celle-ci est choisie d’une part en fonction du sujet de la recherche - un manuscrit rapportant une étude sur le cancer du sein sera préférentiellement envoyé vers une revue de cancérologie - et d’autre part - et surtout - en fonction de son facteur d’impact.

Le facteur d’impact 

C’est un indicateur rendant compte de la “visibilité” d'une revue scientifique. Il représente le nombre moyen de citations - par la communauté scientifique mondiale - de chaque article publié dans cette revue au cours des deux années précédentes.

Par exemple :

- si A est le nombre de fois que les articles publiés en 2014-2015 dans une revue donnée ont été cités dans l’ensemble de toutes les revues indexées pendant l’année 2016, et

- si B est le nombre total d’articles publiés par cette revue en 2014-2015,

- l’impact facteur de la revue pour 2016 est : A/B.

Un facteur d’impact de 30 signifie que chaque article publié en 2014-2015 dans la revue considérée a été cité en moyenne 30 fois durant l’année 2016. Le facteur d'impact d’une revue est donc un paramètre qui reflète indirectement son niveau d’excellence.

 

Ce facteur d’impact est considéré essentiel, non seulement par les chercheurs, mais surtout par les instances digeantes (et de financement) de la recherche (universités, centres de recherche, agences de financement, etc.). Vis à vis de ces instances, mieux vaut avoir publié un article dans une revue à haut facteur d’impact (par exemple, facteur d’impact >30) que trois articles dans des revues à facteur d’impact modeste (<4). Bien que cela soit criticable et soit en fait controversé, le facteur d'impact tient une place essentielle dans le domaine de la publication scientifique et est considéré comme critère déterminant dans l'évaluation de l’activité des chercheurs et des équipes de recherche.

 

Les chercheurs ont donc, au moins en première intention, tendance à soumettre leur manuscrit à des revues à haut facteur d’impact.

Procédure d’évaluation des manuscrits par les revues scientifiques

Outre un directeur exécutif et son staff (services comptable et financier, communication, marketing, etc.), une revue scientifique internationale est dirigée au plan scientifique par un comité éditorial constitué d’un éditeur en chef et d’éditeurs associés. La plupart des revues scientifiques sont spécialisées dans un domaine précis de la science, par exemple cancérologie, virologie, thérapie génique, biologie cellulaire, maladies infectieuses, génomique, diabète, maladies neurodégénératives, astrophysique, écologie, physique des matériaux, etc. D’autres revues sont dires généralistes, par exemple Nature, Science, les Proceedings of the National Academy of Science (PNAS), et publient des articles relevant de tous les domaines de la science.

 

Après réception d’un manuscrit, l’éditeur en chef en évalue brièvement la teneur et le transmet à un éditeur associé spécialisé dans le domaine en question. C’est lui qui va prendre la décision de publier ou non le manuscrit. Pour cela, il se base sur sa propre évaluation du travail en terme de qualité ou d’originalité. Dans un premier temps, il peut refuser de publier le manuscrit s’il le juge insuffisant. S’il le juge recevable, il le transmet à deux ou trois (ou parfois plus) “referees” (juges/arbitres). Les referees sont des scientifiques spécialistes du domaine en question. Leur rôle, déterminant, est de lire le manuscrit en profondeur, de l’analyser, et de donner à l’éditeur leur avis circonstancié qui peut être :

- le refus définitif de la publication, en précisant par écrit aux auteurs les arguments détaillés qui entraînent et expliquent ce refus

- l’acceptation de la publication sous condition de révision du manuscrit, ici encore en précisant par écrit aux auteurs les arguments détaillés expliquant en quoi le manuscrit n’est pas publiable sous sa forme actuelle et comment les auteurs pourraient le rendre accptable en fournissant un complément de travail (nouvelles expériences)

- l’acceptation de la publication, en en soulignant les mérites.

 

En cas de refus de la publication, les auteurs peuvent contester le jugement des referees et la décision finale revient alors à l’éditeur. Dans l’immense majorité des cas, celui-ci suit l’avis des referees. Les auteurs doivent alors soumettre leur manuscrit dans une autre revue. Le procéssus se répète et l’acceptation de publication du manuscrit peut prendre plusieurs mois.

 

Généralement, la direction de la revue exerce une forte pression sur les éditeurs afin qu’ils en augmentent le facteur d’impact. Le principe est simple : il est préférable de publier peu d’articles mais de grande originalité et qualité. Ainsi pour les chercheurs lors de la soumission d’un manuscrit, plus le facteur d’impact de la revue est élevé et plus le pourcentage d’acceptation des publications est faible.

Pourquoi les groupes Chinois ont-ils fraudé ?

La Chine a de très fortes ambitions. Récemment, le Président Xi Jinping a indiqué que son pays devait devenir leader mondial dans le domaine des sciences et technologies en 2049. Et ce scandale ne va pas l’aider dans cette démarche.

En Chine comme ailleurs (et peut-être plus qu’ailleurs) les instances dirigeantes basent leurs appréciations des chercheurs et des groupes de recherche sur le facteur d’impact des revues dans lesquelles leurs travaux sont publiés. Mais dans ce pays, cette tendance a atteint un niveau extrême.

Et ce qui n’arrange pas les choses est que les universtités et instituts de recherche ne sont pas soumis à une surveillance étroites des autorités en terme d’intégrité et n’encourent que de faibles sanctions en cas de manquement. Tout cela fait que le système académique déroge plus facilement aux règles de l’éthique.

Le Professeur Zhang dit à ce propos : « En Amérique, si vous êtes pris en flagrant délit de fraude, vous êtes viré sur le champ. Mais en Chine, la sentence est beaucoup plus faible. Vous ne serez pas viré. Tout au plus aurez-vous un retard de promotion et après une période d’oubli, vous pourrez repartir ».

De nombreux scientifiques chinois se plaignent du fait que le seul critère d’évaluation de leurs travaux est le facteur d’impact (défini plus haut).

Publier un article dans une revue à haut facteur d’impact peut booster une carrière et rapporter gros. De nombreuses universités chinoises offrent des contrats de recherche mirobolants et des bonus de salaires importants aux scientifiques qui atteignent ce but. En Juin dernier, l’université du Sichuan a accordé un contrat de 2 millions de dollars à une équipe de recherhe qui avait publié un article dans la revue Cell.

Le Professeur Chen de l’Université Fudan à Shanghai, confie : « tout se réduit au facteur d’impact. Parfois nous plaisantons en disant que pour évaluer les universités en Chine, tout ce dont nous avons besoin est d’un élève de classe primaire qui sache faire des additions. Il lui suffirait juste d’additionner les facteurs d’impact des différentes revues dans lesquelles les équipes de recherche publient ! ».

Devant cet état de fait, les scientifiques chinois se sont adaptés et ont élaboré des moyens de publier leurs travaux dans des revues de haut facteur d’impact.

Comment les groupes Chinois ont-ils fraudé ?

La recette est simple : court-circuiter le processus d’évaluation des manuscrits par lequel les revues scientifiques rejettent ou acceptent la publication par un processus de fausse évalutation (“fake peer-review”). Et cela a abouti à la rétractation de 107 articles publiés entre 2012 et 2016 dans la revue Tumor Biology (Springer Ed.) au printemps dernier Stigbrand retractation tumor biol 2017Stigbrand retractation tumor biol 2017. Le record dans toute l’histoire de l’édition scientifique. La plupart des auteurs étaient des médecins chinois soumis à la pression des instances pour publier.

Ils ont tiré avantage du fait que lors de la soumission d’un manuscrit dans cette revue (comme dans d’autres d’ailleurs) l’éditeur demandait aux auteurs de suggérer eux-mêmes des noms de referees afin qu’ils jugent le travail et donnent leurs recommandations quant à la valeur dudit travail. Cette pratique ouvre évidemment la porte à la fraude.

En fait, les investigations de Peter Butler (Editorialiste et Directeur en Biologie Cellulaire et Biochimie chez Springer Ed.) ont prouvé que les auteurs suggéraient comme referees des “vrais” chercheurs de renom spécialistes du domaine en question, mais ils fournissaient à l’éditeur des adresses email falcifiées. Ainsi le manuscrit “à évaluer” n’était pas envoyé au “vrai” referee, mais arrivait directement dans les mains des auteurs eux-mêmes ou de collègues chercheurs de connivence avec les auteurs qui agissaient alors en tant que referees de leur propre travail ou de celui de leurs collègues ! On imagine les rapports élogieux envoyées aux éditeurs vantant la qualité, l’originalité et le mérite du travail, et en recommandant fortement la publication. Evidemment, les “vrais” referees, prétendument contactés par l’éditeur sur conseil des auteurs, ont révélé n’avoir pas procédé à l’évaluation desdits manuscrits.

Selon le Ministère des Sciences et Technologies Chinois qui a enquété sur l’affaire, les auteurs de 101 des 107 articles retirés de publication par la revue Tumor Biology ont utilisé cette méthode de fraude. Dans de nombreux cas, les auteurs avaient sollicité les services de scientifiques véreux sur des sites internet chinois d’“Aide à la publication d’articles”, afin d’obtenir des rapports d’évaluation de qualité professionnelle. Selon la nature de la demande, le coût du service pouvait atteindre jusqu’à 10 000$.

L’un des “vendeurs” de ce site confiait : « Nous avons aidé à publier des Professeurs/Chercheurs dans tous les domaines. Mais pas de panique, nous ne donnerons aucun nom. Aujourd’hui, les fraudes techniques sont de plus en plus sophistiquées et restent difficiles à établir ».

Cependant, selon certains experts, des signes d’amélioration apparaissent dans les universités Chinoises. Le plagia est en déclin du fait des outils informatiques permettant de le détecter, et les chercheurs chinois de retour dans leur pays après des séjours dans les universités étrangères rapportent avec eux des comportements plus proches des standards de l’éthique.

Mais la pression de publication reste.

Et le Professeur Yuehong Zhang de conclure : « quand il s’agit de culture de recherche et d’intégrité académique, tout dépend de la discipline personnelle de chacun. Nous devons travailler davantage pour développer ce sens de la culture de l’intégrité ».

Le cas de Chunyu Han

En Juillet 2016, Chunyu Han un chercheur de l’université de science et technologie de Hebei a défrayé la chronique en publiant dans la revue Nature Biotechnology (Gao dna guided genome editing natbiotech2016Gao dna guided genome editing natbiotech2016) un article dans lequel il rapportaient avoir découvert une nouvelle méthode d’édition génique - utilisant une protéine argonaute de la bactérie N gregoryi en lieu et place de Cas9 (Voir notre dossier CRISPR sur ce site) - qui pourrait dans un futur proche permettre la guérison de nombreuses maladies génétiques héréditaires ou permettre aux parents d’améliorer les caractéristiques physiques et/ou le QI de leur enfant à naître. Han est devenu une célébrité et le gouvernement local lui a offert de contruire un centre de recherche sur l’édition génique de plus de 32 millions de dollars, dont il serait le directeur. Cependant en Janvier 2017, les chercheurs de trois équipes (Cathomen ekker kim failure to detect genome editing by argonaute natbiotech17Cathomen ekker kim failure to detect genome editing by argonaute natbiotech17) ont rapporté qu’ils étaient incapables de reproduire les résultats de Han. Et devant la publication de nouveaux rapports par d’autres équipes allant dans le même sens, ses co-auteurs et lui ont dû finalement retirer leur publication (Gao retractation natbiotech17Gao retractation natbiotech17) sous la pression de la revue Nature Biotechnology Addendum natbiotech17Addendum natbiotech17.

Dans ce cas, il ne s’agit pas du processus de fraude tel que décrit ci-dessus.  Il ne s’agit peut-être même pas de fraude. L’avenir le dira (peut-être). Cependant, le fait que plusieurs équipes indépendantes soient incapables de reproduire les résultats de l’équipe de Chunuy Han laisse planer un doute que ces chercheurs devront eux-mêmes lever le plus tôt possible.

Ce genre de cas (impossibilité de reproduire des résultats publiés) n’est pas unique et d’autres ont défrayé la chronique dans les années récentes. J’en parlerai dans un prochain article.

A suivre…

 

Sources :

Retractation Blog

Tumor Biology

Nature Biotechnology

Genome Web

New York Times

Sixth Tone

 

Date de dernière mise à jour : 23/10/2017

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