SIDA: Les cas de guérison

Résumé tout public

Tout récemment fin février et début mars 2023 viennent de paraître dans les revues scientifiques Nature Medicine et Cell deux articles décrivant le cas du "patient de Düsseldorf", et le cas de la "patiente de New-York", troisième et quatrième patients à s'être débarrassés du virus du SIDA après une greffe de cellules souches hématopoïétiques résistantes au VIH (virus de l'immunodéficience humaine, responsable du SIDA) provenant d'un donneur sain. Rappelons que les cellules souches hématopoïétiques sont les cellules qui vont générer dans l'organisme l'ensemble des cellules du sang circulant et du système immunitaire, globules rouges, lymphocytes, macrophages, cellules dendritiques, etc.

 

Explication

Chez ces patients séropositifs pour le SIDA, le taux de virus avait été maintenu à un niveau très faible pendant plusieurs années grâce au traitement antirétroviral, lorsqu'une leucémie myéloïde aiguë est survenue.  Une procédure de transplantation de moelle osseuse a donc été entreprise pour traiter la maladie. Au cours de cette procédure, les cellules souches hématopoïétiques du patient ont été remplacées par des cellules souches hématopoïétiques provenant d'un donneur qui était porteur homozygote de la mutation CCR5Δ32/Δ32. Cette mutation rend le gène CCR5 inactif. Or la protéine CCR5 représente la porte d'entrée du virus du SIDA dans toutes nos cellules. Son inactivation a permis à ces patients de se débarrasser du virus du SIDA. Ce sont les troisième et quatrième cas de guérison avérée après ceux du patient de Berlin (2009) et du patient de Londres (2019).

Ces études et leurs résultats ne sont pas sans rappeler l'affaire des deux premiers bébés OGM de l'humanité rapportée sur ce site en 2019. Dans cette affaire, le but qu'avait poursuivi le chercheur Chinois Jiankui He était de rendre ces deux enfants résistants au SIDA précisément en inactivant leur gène CCR5. Nous savons que la façon dont il s'y est pris, par la technique CRISPR/Cas, était totalement inappropriée et répréhensible, et il en a payé lourdement les conséquences.

On voit comment deux approches thérapeutiques différentes (greffe de moelle osseuse, un processus bien maîtrisé versus CRISPR/Cas, une technique encore non totalement maîtrisée) ciblant une même finalité biologique, l'inactivation du gène CCR5, s'opposent en termes d'éthique médicale.




Pour celles/ceux qui souhaitent aller plus loin

Quarante ans après la découverte du virus VIH responsable du SIDA en 1983 par les chercheurs de l’Institut Pasteur, près de 40 millions personnes vivent aujourd'hui dans le monde avec cette maladie, et seulement 2 cas de guérison ont été décrits jusqu’à présent : le patient de Berlin en 2009 et le patient de Londres en 2019.

Depuis des années, les personnes séropositives pour le VIH reçoivent une thérapie antirétrovirale qui permet de réduire la charge virale à des niveaux presque indétectables et d'empêcher ainsi la transmission du virus à d'autres personnes. Mais le système immunitaire maintient le virus enfermé dans des réservoirs du corps (notamment des cellules du système immunitaire) et si une personne arrête le traitement antirétroviral, le virus peut recommencer à se répliquer et à se propager.

Le patient de Berlin

La technique des cellules souches hématopoïétiques a été utilisée pour la première fois pour traiter Timothy Ray Brown, souvent appelé le "patient de Berlin". En 2007, afin de traiter une leucémie myéloïde aiguë, il a subi une greffe de moelle osseuse, au cours de laquelle ses cellules souches hématopoïétiques ont été détruites et remplacées par celles provenant d'un donneur sain. L'équipe qui a traité Brown a sélectionné un donneur présentant une mutation génétique homozygote appelée CCR5Δ32/Δ32, qui empêche l'expression de la protéine CCR5 à la surface des cellules (Hutter et al. New England Journal of Medicine 2009). Le VIH utilise cette protéine pour pénétrer dans toutes les cellules de l'organisme, de sorte que la mutation les rend résistantes au virus. Après la procédure, le patient a pu arrêter son traitement antirétroviral et est resté exempt de VIH jusqu'à sa mort en 2020.

Le patient de Londres

En 2019, les chercheurs ont utilisé la même procédure pour guérir le patient londonien Adam Castillejo (Gupta et al. Nature 2019). Cette étude a ainsi confirmé que le gène CCR5 est la cible à atteindre pour obtenir une guérison du SIDA. A noter qu'en 2022, des scientifiques ont annoncé qu'ils pensaient qu'un patient new-yorkais pourrait également être guéri, bien qu'il soit encore trop tôt pour dévoiler ce cas.

Le patient de Düsseldorf

Tout récemment, un nouveau cas de probable guérison du VIH, consécutif à une greffe de moelle osseuse issue d’un donneur portant la mutation génétique CCR5Δ32/Δ32 vient d'être publié le 20 février dans la revue internationale Nature Medicine (Ole-Jensen et al. Nature Medicine 2023).

Cet homme de 53 ans suivi dans un hôpital de Düsseldorf, surnommé le "patient de Düsseldorf", séropositif pour le virus VIH-1 présentait des taux de VIH extrêmement faibles grâce au traitement antirétroviral, lorsqu'une leucémie myéloïde aiguë est survenue en 2013.  Une procédure de transplantation de moelle osseuse a donc été entreprise pour traiter la maladie. Au cours de cette procédure, les cellules souches hématopoïétiques du patient ont été remplacées par des cellules souches provenant d'un donneur qui était porteur homozygote de la mutation CCR5Δ32/Δ32. Trente mois après cette transplantation, le patient a pu cesser de suivre un traitement antirétroviral et n'a pas été infecté par le VIH depuis, comme le montre la figure ci-dessous.

Figure 2 article patien de dusseldorf

Figure 2 partielle de l'article de Ole-Jensen et al. Nature Medicine 2023. A gauche c, réponses des cellules T CD8+ spécifiques du VIH-1 (ces cellules sont productrices d'IFNγ, de TNFα, d'IL-2 et/ou expression de CD107a) contre des peptides du VIH-1 Gag (bordeaux), Nef (violet foncé) et Pol (violet clair), en fonction du temps en mois après la greffe de moelle osseuse. La ligne en pointillé représente le signal de fond moyen. A droite d, un immunoblot du lysat de virus complet pour les anticorps contre les antigènes du VIH-1 indiqués en haut de la figure (gp160, gp120, etc.), a révélé des anticorps spécifiques du VIH-1 après la transplantation de moelle osseuse et un affaiblissement prolongé de ces anticorps en fonction du temps en mois (M+). M+ 0: analyse juste avant la transplantation.

Cette étude apporte une preuve supplémentaire qu’il existe une possibilité de guérir d'une infection VIH et propose de nouvelles perspectives thérapeutiques aux scientifiques et cliniciens qui se consacrent à la lutte contre ce virus depuis 40 ans.

La patiente de New-York

Le 16 mars 2023 était publié dans la revue scientifique internationale Cell (Hsu et al. HIV-1 remission and possible cure in a woman after haplo-cord blood transplant. Cell 2023), un quatrième cas de guérison du SIDA. La transplantation de cellules souches issues de moelle osseuse porteuses de la mutation CCR5D32/D32 est rare en raison de sa prévalence extrêmement faible dans la population générale (1%) et du fait que peu de banques de cellules souches issues de moelle osseuse testent les donneurs pour cette mutation. De plus, ces banques regroupent le plus souvent des prélèvements obtenus sur des donneurs blancs (Caucasiens). Le sang de cordon ombilical pourrait être une meilleure source de cellules souches hématopoïétiques pour les personnes vivant avec le VIH qui sont racialement diversifiées. En effet, les cellules souches issues de sang de cordon peuvent se greffer avec succès même lorsqu'elles ne sont que partiellement compatibles avec le système HLA de l'hôte et présentent moins de rejet du greffon par rapport à l'hôte. Dans l'étude IMPAACT (International Maternal Pediatric Adolescent AIDS Clinical Trials) publiée par Hsu et al. l'hypothèse selon laquelle l'accès à des unités de sang de cordon ombilical présélectionnées pour la mutation du gène CCR5D32/D32 permettrait d'élargir le pool de cellules donneuses pour les personnes non blanches vivant avec le VIH-1 a été testée avec succès.

Hsu et al. rapportent dans cet article une rémission et une possible guérison de l'infection par le VIH-1 chez une femme métisse d'âge moyen qui a développé une leucémie myéloïde aigüe quatre ans après son diagnostic d'infection et alors qu'elle était sous traitement antirétroviral.  Elle a reçu une greffe d'un sang de cordon ombilical homozygote CCR5D32/D32 provenant du Registre international des centres de sang de cordon StemCyte (StemCyte), combinée à des cellules souches sélectionnées CD34+ provenant d'un donneur apparenté haploidentique présentant un allèle CCR5 de type sauvage (non muté). La greffe de ces cellules a entraîné un remplacement rapide par des cellules du système immunitaire portant la mutation CCR5D32/D32, avec une rémission de la leucémie. Comme attendu, la réplication du VIH-1 a été supprimée, comme en témoignent les niveaux cliniquement indétectables de la charge virale même après l'interruption du traitement antirétroviral.

Figure 5 hsu cell2023

Figure 5 de l'article de Hsu et al. Cell 2023. Profils d'anticorps anti-VIH-1 dans le sang de la patiente. La présence des anticorps anti-HIV-1 dans le sang de la patiente a été évaluée par immunoblot. Les protéines du VIH-1 et les poids moléculaires sont indiqués à gauche (gp160, gp120, etc.). "Controls" : les anticorps anti-VIH-1 détectables sont indiqués dans les contrôles positif (++), faible (+) ou nul (-). "Week post-transplant" indique la présence des anticorps à partir du jour de la transplantation (semaine 0) et en fonction du temps après la transplantation, y compris après l'interruption du traitement antirétroviral. On note l'absence d'anticorps anti-VIH-1 à partir de la 52eme semaines après la transplantation, y compris après l'interruption du traitement antirétroviral (Post-ATI).

Les études corrélatives sur le réservoir viral immunologique et latent du VIH-1 ont confirmé l'élimination du VIH-1 dans le sang périphérique, alors qu'il était évidemment détecté avant la transplantation des cellules souches. La patiente n'avait toujours pas de leucémie 55 mois après la transplantation et ne présentait pas de rebond virémique après 18 mois d'interruption du traitement antirétroviral, ce qui suggère une rémission et une possible guérison de l'infection par le VIH-1.  

Un autre cas, celui du patient de City of Hope qui a obtenu une rémission du VIH après une greffe de cellules souches, a été présenté à la réunion sur le SIDA en 2022 (J. Dickter et al. AIDS en 2022 (J. Dickter et al., 2022, 24th International AIDS Conference), mais n'a pas encore été publié.

Conclusion

Le fait que plusieurs patients aient pu être traités avec succès par une combinaison de molécules antirétrovirales et de cellules souches hématopoïétiques de donneurs résistantes au VIH rend très élevées les chances de guérison du SIDA chez ces personnes. Cependant, il est peu probable que le remplacement de la moelle osseuse soit étendu aux personnes qui ne sont pas atteintes de leucémie, en raison de la lourdeur de la procédure et des risques élevés associés, en particulier le rejet de la moelle du donneur.

Plusieurs équipes testent donc la possibilité d'utiliser des cellules souches prélevées chez le patient lui-même, puis de les modifier génétiquement afin de leur faire porter la mutation homozygote CCR5Δ32/Δ32, puis de les réimplanter au patient, ce qui éliminerait le besoin de cellules d'un donneur et leur possible rejet.

Il reste deux inconnues:  

Le virus pourrait-il dans certains cas muter chez les personnes atteintes et trouver de nouveaux moyens de pénétrer dans les cellules, autres que la protéine CCR5 ?

La chimiothérapie que les malades ont reçue pour traiter leur leucémie avant leur greffe de moelle osseuse n'aurait-elle pas contribué à éliminer le VIH en empêchant les cellules infectées de se diviser ?

A suivre…

Date de dernière mise à jour : 19/03/2023

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